13 avril 2025 | Appel à communication - Colloque "Retracer le monde – Penser avec Perec"

Perec

« Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? »

Ainsi s’interrogeait en 1973 l’auteur français Georges Perec (1936-1982) et ces questions n’ont rien perdu de leur actualité, en particulier dans le domaine des sciences historiques et sociales. En effet, ces dernières partagent avec cette forme de littérature la tentative de saisir le monde (social) et de ne pas se contenter de regarder ce qui s’impose comme important, mais de remettre en question les évidences apparentes. La question de savoir comment cela doit se faire exactement est cependant moins claire. Dans son œuvre, Perec a trouvé différentes formes de réponse : l’écriture, le film et la pièce radiophonique (le Hörspiel).

Toutes ces formes partagent un mode particulier : celui de l’épuisement. C’est ainsi que Perec, dans le cadre de ses « épuisements des lieux parisiens », s’est rendu en 1977 dans la rue Vilin, cette rue du 20e arrondissement où il est né et qui a d’abord été démolie pour finalement être absorbée par le parc de Belleville. Fils de juifs polonais, il y avait passé son enfance jusqu’en 1943, lorsque sa mère réussit à l’envoyer à la campagne avec un train de la Croix-Rouge et à le sauver des persécutions nazies. Perec a vécu la libération en tant qu’orphelin : son père était mort en 1940 comme volontaire dans l’armée française et sa mère avait été assassinée à Auschwitz. Des décennies plus tard, c’est dans la rue Vilin, ce lieu peu à peu disparaissant, que l’écrivain est parti à la recherche de ce qui était caché, à savoir « l’infra-ordinaire » évoqué au début, et des traces de son histoire qu’il contenait.

Le mode de « l’infra-ordinaire » est au cœur du colloque : interroger et répertorier jusque dans les moindres détails ce qui se passe devant nous, y compris ce qui nous semble si évident que nous ne nous en étonnons même plus. Perec invite à se rendre étranger à soi-même. Ce n’est pas un mode inconnu, ni pour les sciences historiques, ni pour les sciences sociales. En partant de Perec, on pense intuitivement aux approches de la description dense ou de la micro-histoire, pour ne citer que deux exemples. Mais ces méthodes permettent-elles vraiment de saisir « l’infra-ordinaire » ? Qu'est-ce que cela signifie d’aller à la rencontre du monde et de soi-même de cette manière, de se rendre étranger à soi-même ? Les sciences historiques et sociales, proposent-elles des objets, des questions, des méthodes, des formes de représentation et de description qui s’apparentent aux tentatives perecquiennes d’épuisement du passé et du présent ? Comment gèrent-elles les lacunes, comment réfléchissent-elles à la matérialité de leurs sources et de leurs données ou au rapport entre ce qui est transmis et ce qui ne l’est pas ? Comment s’organise, dans ce contexte, le rapport entre science et art ?

En un mot : quelles propositions et quels défis les sciences historiques et sociales peuvent-elles tirer de l’œuvre de Perec ? C’est à cette question que nous voulons consacrer le colloque Retracer le monde – Penser avec Perec/Der Welt nachspüren – Denken mit Perec dans une perspective pluridisciplinaire. Effectivement, les méthodes perecquiennes sont jusqu’à présent loin d’avoir été épuisées de manière exhaustive par les sciences historiques et sociales. Pourtant, l’importance de Perec « augmente d’heure en heure » – selon le traducteur et spécialiste de la littérature franco-allemande Jürgen Ritte. Cela ne vaut pas seulement pour la littérature. Au contraire, si l’on considère la position sociale des sciences historiques et sociales, menacées par une précarisation croissante, ainsi que le rapport entre faits et fictions, actuellement très discuté à l’intérieur comme à l’extérieur du monde académique, il ne fait aucun doute que les questions soulevées par l’œuvre de Perec n’ont rien perdu de leur actualité. Dans ce contexte, le colloque veut aussi appeler à ne pas se replier sur la défensive ni sur le positivisme face à l’hostilité à l’égard de la science et de la théorie – et, au contraire, inviter à profiter de la liberté qui réside dans les règles scientifiques, à jouer à l’intérieur de ces règles, à les employer de manière critique. Ainsi, outre les interventions d’expert.e.s de différentes disciplines et de différents champs d’activité sur l’œuvre et la méthodologie de Perec et les discussions, le colloque constituera l’occasion de mettre en pratique les connaissances obtenues : équipé.e.s notamment d’enregistreurs audio, nous tenterons de retracer ce qui se trouve autour de nous et de saisir son histoire ainsi que son présent dans « l’infra-ordinaire ».

Avec Georges Perec, le colloque se consacrera à quelqu’un qui, au-delà de ses souvenirs d’enfance, s’inscrit de manière particulière dans la relation franco-allemande : en 1966, il rencontra le traducteur franco-allemand Eugen Helmlé, ce qui donna naissance à une relation artistique et amicale intense qui dura jusqu'à sa mort en 1982. Helmlé a traduit l’œuvre de Perec en allemand et, grâce à l’étroite collaboration de ces deux artisans de la langue, les pièces radiophoniques de Perec ont été produites par le Saarländischer Rundfunk et rendues accessibles au public germanophone. Le mode et l’art de la traduction font d’ailleurs partie intégrante des méthodes de Perec. Il est grand temps de se pencher sur Perec d’une manière die die Sprachen durchquert – und die Medien.

Sont invité.e.s les étudiant.e.s avancé.e.s, les doctorant.e.s et les post-doctorant.e.s(jusqu’à trois ans après le doctorat) qui sont inscrit.e.s à l’EHESS ou à l’Université Goethe en histoire, philosophie, sciences politiques et sociales, ethnologie, littérature ou histoire de l’art et qui ne font pas nécessairement de recherches sur Perec, mais qui s'intéressent aux questions soulevées et souhaitent apporter leurs éléments de réponse au colloque. Le remboursement des frais de voyage et d’hébergement n’est possible que pour les personnes inscrites à l’EHESS et à l’université Goethe. Les personnes intéressées rattachées à d’autres universités sont toutefois les bienvenues.

Les langues de travail seront le français, l’allemand et l’anglais, une connaissance au moins passive de ces trois langues étant requise.

Informations générales

Les participant.e.s ne préparent pas d’interventions. Cependant, l’inscription implique la remise obligatoire d’un petit travail de texte. L’exercice : décrire un lieu qui n’existe plus. Peu importe comment (1/2 à 2 p.).

Lieu : Paris, EHESS (54, boulevard Raspail).

Le programme débutera le jeudi 15 mai 2025 à 11 h 30 et se terminera le dimanche 18 mai 2025 à 11 h 30.
La réservation du voyage et de l’hébergement doit se faire de manière autonome. Les étudiant.e.s, doctorant.e.s et post-doctorant.e.s de l’EHESS et de l’université Goethe seront ensuite remboursé.e.s de leurs frais de voyage et d’hébergement.

Inscription :

Jusqu’au 13 avril 2025 par courriel : n.freimuth@stud.uni-frankfurt.de

En indiquant les données suivantes :

  • Nom, prénom
  • Statut (étudiant.e, doctorant.e, etc.)
  • Rattachement administratif
  • Adresse postale
  • Courriel
  • Téléphone
  • Champs de recherche

Le texte à rédiger (voir ci-dessus) doit être soumis au plus tard le 30 avril 2025.